Plus de quarante ans après la loi Veil, le droit à l’avortement subit une offensive concertée en Europe, menée par une nouvelle génération de militants rompus aux réseaux sociaux. Une enquête d'Arte révèle leurs méthodes et leurs financements.

C'est l'histoire d'une régression européenne illustrée par un cintre. Le cintre est le symbole des avortements clandestins, à l'époque où une femme en moyenne par jour mourrait en France des suites d'une interruption de grossesse. Ce cintre, Alexandra Jousset et Andrea Rawlins-Gaston en ont fait le fil rouge de leur film (déjà disponible en ligne) : à chaque nouvelle étape, à chaque ville européenne où nous conduit leur reportage, on voit ce cintre accroché à une statue, à un feu rouge, ou placé quelque part dans le décor. Plus de quarante ans après la loi Veil, le droit à l'avortement subit une offensive concertée en Europe, menée par une nouvelle génération de militants. Ce sont ces nouveaux croisés, leur idéologie, leurs méthodes et leurs financements, que décortique ce documentaire saisissant. 

Lobbying auprès de l'Union Européenne

En France, un jeune publicitaire rompu aux réseaux sociaux a fondé "les Survivants" et s'échine à faire de la lutte contre l'avortement un combat cool et tendance. Et les mots sont loin d'être un détail. Les "pro-life", comme ils aiment être présentés, portent le combat au cœur du langage. C'est au nom de la "culture de la vie" et de la "dignité humaine" qu'ils entendent en finir avec le droit des femmes à disposer de leur corps. Leur travail de lobbying auprès de l'Union Européenne est de plus en plus efficace.

Le documentaire passe aussi l'Espagne, le Portugal, la Hongrie, la Pologne et l'Italie. L'Italie où les résultats de dimanche, quelle que soit leur issue, ne devraient pas arranger les choses. Dans ce pays où l'IVG est officiellement autorisée, avorter est devenu un vrai parcours du combattant : 70% des gynécologues sont des "objecteurs de conscience" qui refusent de pratiquer des avortements, comme la loi les y autorise. Résultat, les services IVG sont saturés. Nombreuses sont les femmes qui paniquent à l'idée de ne pas pouvoir interrompre leur grossesse dans les délais. 

Et puis il y a cette séquence qui fait l'effet d'un coup de poing dans le ventre. Un petit cimetière au nord de l'Italie. Nous sommes à Gallarate, en Lombardie. Un enterrement, des prières ferventes. Mais en lieu et place du cercueil, des petites boites. Cette association catholique récupère des fœtus pour les enterrer, avec la bénédiction des autorités et de l'hôpital public. On ne demande pas leur avis aux femmes. Elles ne sont parfois même pas prévenues. L'une d'entre elles, assommée par l'émotion, explique qu'elle a découvert, cinq ans plus tard, une tombe avec son nom de famille gravé sur la pierre et la date à laquelle elle a avorté. ça se passe juste à côté, en Italie.

Un combat financé par des oligarques russes 

Pour que leurs idées progressent, ces militants partout en Europe ont besoin d'argent. Le documentaire révèle, documents à l'appui, que les fonds proviennent de certains milieux russes et américains très peu recommandables. Et notamment d'un oligarque russe très sulfureux, interdit de séjour en Europe. 

Ce reportage remarquable dure 1h30 et on le regarde avec en permanence dans un coin de la tête cette citation célèbre de Simone de Beauvoir : 

N'oubliez pas qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.

Avortement, les croisés contre-attaquent : documentaire signé Alexandra Jousset et Andrea Rawlins-Gaston : mardi 6 mars à 20h50 sur Arte. Rediffusion le 8 mars à 9h25 et disponible sur Arte.tv 

 

 

Avortement, les croisés contre-attaquent - ARTE