Le Premier ministre israélien, incapable de concevoir une Syrie sans Assad, a laissé s’y enraciner l’Iran, s’en remettant à la Russie pour contenir une telle menace.
Nétanyahou, un homme de vision, à Jérusalem en novembre 2017
Le Premier ministre israélien est au pouvoir depuis 2009, après avoir déjà dirigé le gouvernement de 1996 à 1999. C’est dire qu’il porte l’entière responsabilité de la politique suivie par l’Etat hébreu face au soulèvement démocratique qui a secoué le monde arabe depuis 2011. Or Nétanyahou a systématiquement joué la carte des dictatures arabes contre leurs peuples, misant entre autres sur un maintien d’Assad au pouvoir en Syrie. Ce choix stratégique, certes opéré par défaut, a abouti à une vulnérabilité inédite d’Israël à sa frontière nord.
Israel, Hizbollah and Iran: Preventing Another War in Syria
Facts on the ground in Syria are defining the contours of the country’s political future and also the geography of a looming clash between Israel, Hizbollah and other Iran-allied militias. Russia should broker understandings to prevent a new front from opening.
A new flash point between Israel, Syria and Iran
Tensions flare up after Israel shot down a suspected Iranian drone and Syria downed an Israeli warplane.
Le chef de l'ONU a appelé "à une désescalade immédiate et inconditionnelle de la violence" après qu'Israël a lancé des raids aériens intensifs sur ce qu'il a appelé les bases iraniennes en Syrie, ce qui a provoqué des tensions dans la région.
"[A]ll concerned in Syria and the region have a responsibility and must abide by international law and relevant Security Council resolutions," Antonio Guterres said in a statement on Saturday.
Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a affirmé dimanche que l'aviation israélienne, qui a effectué samedi une série de raids en Syrie, a porté un «coup sévère» à l'Iran et aux forces du régime syrien.
«Nous avons infligé samedi un coup sévère aux forces iraniennes et syriennes», s'est félicité Benyamin Nétanyahou. «Nous continuerons à frapper tous ceux qui tentent de nous attaquer», a-t-il prévenu dans un communiqué diffusé par son bureau. «C'est notre politique et cela restera notre politique», a ajouté le premier ministre.
An Israeli fighter jet crashes after a suspected Iranian drone is shot down.
The spillover from the civil war in Syria to neighbouring countries is not new, but an Israeli warplane being shot down by Syrian air defences is a first.The F-16 fighter jet crashed after what the Israeli army says was massive anti-aircraft fire. Syria said it was responding to Israeli aggression.The downing of the F-16 followed the shooting down of an Iranian drone for what Israel said was a violation of its sovereignty in the occupied Golan Heights.Also on Saturday, Syrian air defences reported repelling two Israeli raids on military bases.
En Syrie, Israël est bien décidé à faire barrage à l’Iran
Malgré le risque d’escalade, comme l’a montré l’incident du 10 février, l’Etat hébreu entend répliquer à toute provocation.
« Ce n’est pas bien de dire ça, mais j’avais prévenu. Je ne criais pas au loup pour rien. » Dans son bureau au ministère du renseignement israélien, dont il est le directeur, Chagaï Tzuriel se sent conforté dans son analyse. Depuis plus d’un an, il multiplie les avertissements au sujet des dangers que pose la présence iranienne en Syrie. Maintenant que la Syrie entre, selon ses termes, dans une « zone grise », après la guerre contre l’organisation Etat islamique (EI) et avant le lancement de sa reconstruction, Israël doit être une vigie intransigeante. D’autant que l’Iran avance de moins en moins masqué.
« Nous sommes entrés dans une nouvelle phase où tout le monde se préoccupe de la reconstruction de la Syrie, l’Iran et la Russie désirant les plus grosses parts du gâteau, puisqu’ils ont sauvé Assad,explique Chagaï Tzuriel. Mais, en même temps, la confiance d’Assad et du régime est en hausse. Ils tiennent moins compte des intérêts d’autrui. La conclusion est que les différends entre les parties impliquées risquent de devenir plus clairs. » Tel est l’espoir, en tout cas, que nourrit Israël.
So where will this escalation lead?
Il ne s’agit pas du premier incident impliquant un drone. Les opérations israéliennes sont régulières en Syrie. La nouveauté est l’ampleur de la réaction israélienne, la mise en cause de l’Iran, le ciblage du site de lancement et le déclenchement, dans la foulée, d’une série de bombardements supplémentaires près de Damas après le crash du F16. Lire l’entretien : « Nous assistons à un cycle d’action-réaction » entre l’Iran, Israël et la Syrie
Ce coup de chaud intervient alors qu'une forte tension règne depuis plusieurs semaines à la frontière nord d'Israël. En visite mercredi sur le plateau du Golan, Benyamin Nétanyahou a prévenu qu'il ne laisserait pas l'Iran établir une implantation militaire durable sur le territoire syrien ni menacer la souveraineté israélienne le long du plateau du Golan. «Nous sommes préparés pour tous les scénarios, a-t-il déclaré, et je ne conseille à personne de tester notre détermination.» Mercredi matin, pour la deuxième fois en un mois, l'aviation israélienne avait frappé un site proche de Damas où la Syrie est soupçonnée de fabriquer des missiles de précision destinés au Hezbollah libanais.
Cet incident a entraîné une réplique massive des forces israéliennes, qui ont visé douze sites, syriens et iraniens autour de Damas (Syrie). Deux jours avant cette escalade, l’organisation International Crisis Group avait publié un rapport très documenté sur le risque d’un nouveau front en Syrie, impliquant Israël. L’un de ses auteurs, Ofer Zalzberg, analyse les ressorts de la détérioration sur le terrain.
Israël-Iran : Un nouveau front dans le ciel syrien ? (Partie 1)
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a fait ce lundi part de sa préoccupation devant la perspective d'un conflit ouvert entre Israël et le mouvement libanais Hezbollah. "Le pire cauchemar serait celui d'une confrontation directe entre Israël et le Hezbollah (...), l'ampleur de la destruction au Liban serait absolument désastreuse ", a-t-il dit lors d'une conférence de presse organisée à Lisbonne.
Déjà vives, les tensions entre Israël et le Liban se sont accrues depuis l'annonce d'un projet de construction d'un mur à la frontière séparant les deux pays et l'apparition d'un contentieux sur un programme libanais de prospections maritimes d'hydrocarbures en Méditerranée. Puissant tant au niveau politique que militaire, le Hezbollah participe à la coalition au pouvoir à Beyrouth. Il a prévenu la semaine dernière qu'il pourrait mener des actions contre des installations pétrolières israéliennes.
L’OBSESSION DU PROGRAMME CHIMIQUE
Israël n’avait qu’à se féliciter du calme qui régnait depuis 1974 sur le territoire syrien du Golan, occupé sept ans plus tôt. Le régime Assad, sous le père Hafez, puis sous le fils Bachar, à partir de 2000, veillait rigoureusement au cessez-le-feu conclu sous l’égide des Etats-Unis et supervisé par une force dédiée de l’ONU. Les provocations ponctuelles de Bachar al-Assad, en mai-juin 2011, lancées afin de détourner l’attention de la contestation croissante dans son pays, avaient été brutalement réprimées par Israël, ramenant le retour au statu quo. Cette appréciable stabilité conduisit Nétanyahou et son gouvernement à privilégier en Syrie la carte Assad plutôt que le saut dans l’inconnu révolutionnaire.
Ce tropisme pro-Assad s’est paradoxalement accentué avec l’intervention croissante du Hezbollah libanais aux côtés de la dictature syrienne. Nétanyahou a en effet cru que la milice pro-iranienne, en s’absorbant dans le conflit syrien, se détournerait ainsi d’Israël et en sortirait sensiblement affaiblie. L’armée israélienne continuait de toutes façons de frapper les transferts d’armements de la Syrie vers le Liban qui auraient pu y renforcer de manière significative le potentiel du Hezbollah. Au même moment, Nétanyahou plaidait avec succès auprès d’Obama contre toute livraison de missiles sol-air à l’insurrection syrienne, arguant qu’ils pourraient un jour être utilisés contre l’aviation israélienne. « Bibi » a ainsi contribué indirectement à ce que le régime Assad conserve le monopole absolu des airs en Syrie, avec les résultats catastrophiques que l’on sait pour la population syrienne.
Nétanyahou était en revanche très préoccupé par le programme chimique du régime Assad. Lors du bombardement au gaz sarin par le régime de banlieues de Damas, en août 2013, il a mis en avant la nécessité de démanteler cet arsenal chimique plutôt que de frapper Assad en représailles. C’est la position qui a finalement été retenue par Barack Obama, dans le cadre d’un accord de désarmement chimique de la Syrie, co-parrainé avec Vladimir Poutine. La violation manifeste de cet accord en avril 2017, lors de bombardements aériens au sarin de Khan Cheikhoun, amena Nétanyahou à brandir la menace de représailles israéliennes. C’est pour éviter une telle escalade que Donald Trump décida un raid limité contre la base de départ des appareils ayant largué des armes chimiques.
LE MIRAGE RUSSE
Nétanyahou a réagi plutôt favorablement à l’intervention directe la Russie en Syrie, à partir de septembre 2015. Il se leurrait pourtant sur la capacité du Kremlin à brider effectivement le régime Assad, et a fortiori les velléités d’expansion de l’Iran. « Bibi » surestimait à l’évidence la qualité de la relation personnelle qu’il avait nouée avec Poutine au fil de nombreux entretiens bilatéraux. La même illusion prévalait chez Avigdor Liberman, ministre de la Défense depuis mai 2016, dont les origines moldaves nourrissaient une authentique empathie envers le Kremlin, sur fond d’affirmation de l’électorat russophone en Israël. Des arrangements complexes entre militaires israéliens et russes permettaient aux uns et aux autres de mener leurs frappes aériennes en Syrie sans tension entre les deux armées.
Il était néanmoins évident que le Hezbollah, en première ligne des batailles de Palmyre et d’Alep, entre autres, renforçait significativement ses capacités militaires, tandis que l’Iran oeuvrait avec constance à l’établissement d’une continuité territoriale inédite entre son territoire et la Méditerranée. Quant au régime Assad, il laissait volontiers les jihadistes de Daech s’implanter dans le bassin du Yarmouk, au triangle stratégique entre la Syrie, la Jordanie et Israël. Seuls les révolutionnaires syriens étaient déterminés, là comme ailleurs, à affronter Daech, mais leur abandon par l’administration Trump, au nom de l’accommodement de fait avec le régime Assad, les laissait littéralement désarmés.
Lorsque Nétanyahou s’est réveillé bien tardivement de son mirage russe, à l’été 2017, l’Iran et ses milices affidées avaient établi de solides faits accomplis sur le théâtre syrien. « Bibi » eut beau en appeler à Poutine pour que de nouvelles « lignes rouges » soient respectées en matière d’implantation iranienne en Syrie, en plus des restrictions déjà imposées au Hezbollah, le Kremlin répondit sèchement que ces exigences israéliennes étaient excessives. La suite est connue: l’incursion d’un drone iranien en Israël a entraîné, le 10 février, un raid israélien contre la base T4, proche de Palmyre, d’où était parti l’appareil, mais la riposte intense de la défense aérienne d’Assad a causé la chute d’un F16 en Israël même.
Poutine, appelé dans l’urgence par Nétanyahou, s’est contenté de mettre en garde contre une confrontation « dangereuse pour le monde entier ». Moscou menaçait en outre de réagir en cas d’atteinte à ses forces en Syrie, ce qui contraignit Israël à limiter une deuxième série de frappes, en représailles cette fois à la chute du F16. « Bibi », il est vrai cerné par les affaires judiciaires, en fut quitte pour multiplier les rodomontades. Sa responsabilité n’en était pas moins évidente dans cet affaiblissement sensible de l’environnement de sécurité d’Israël, puisqu’il faut remonter à 1982 pour trouver un précédent à un avion israélien abattu par la défense syrienne.
Même du point de vue d’Israël, le maintien d’Assad au pouvoir, faussement perçu comme un gage de stabilité, aggrave bel et bien les risques de conflit et d’escalade.